mercredi 25 février 2009

La Martinique voit rouge

paru dans Paris Match

La récolte de canne à sucre va peut-être commencer... Chez les Dormoy, à «La Favorite», au Lamentin, à la Martinique, les ouvriers ne sont pas en grève, mais les tracteurs n’ont plus d’essence. A gauche, Paul Dormoy, 59 ans, et en haut, son fils Franck, 29 ans, responsable agricole, au milieu de l’équipe

Face à la vie chère, les îles crient leur colère. Mais tout n’est pas noir ou blanc dans les îles il n’y a pas d’un côté les méchants békés et, de l’autre, le peuple exploité

Ce sont des békés, propriétaires d’une rhumerie fondée en 1842 à la Martinique. Et lorsqu’ils entendent qu’ils jouiraient de privilèges et d’une richesse considérables, ils montrent leurs six ouvriers, des machines-outils vieilles d’un siècle et 45 hectares de champs de canne à sucre. Les Dormoy n’ont pas le profil de «pwofitasyon», les profiteurs... dénoncés par le LKP depuis le 20 janvier. Mais ils font partie des Martiniquais qui s’attirent la haine des extrémistes parce qu’ils constituent 1% de la population et détiennent 40% des terres agricoles. Aux Antilles, les conflits d’aujourd’hui – niveau de salaire et hausse des prix – parlent aussi d’une très vieille histoire. Dans cette France du bout du monde où la proportion des chômeurs est deux fois et demie plus importante qu’en métropole et le nombre de RMistes, plus de quatre fois plus élevé, les blessures de l’esclavage, aboli il y a cent soixante ans, restent brûlantes.

«La Martinique est à nous ! Elle n’est pas à eux. La bande de békés voleurs, on va les jeter dehors», scandent en créole les manifestants devant la Maison des syndicats, en plein centre de Fort-de-France. Tous protestent contre la vie chère et, pour la première fois aussi directement, contre les hommes d’affaires békés qui, selon eux, sont à l’origine de la hausse des prix. Une mise en cause qui vise les 3 000 Blancs-Pays, nés depuis plusieurs générations dans l’île aux Fleurs. Selon les indépendantistes, cent soixante ans après sa fin, l’esclavage continue dans les Antilles. Et sa douloureuse histoire, vieille de trois siècles, est remise à l’ordre du jour dans un cocktail dangereux où se mêlent argent et couleur de peau.

«Un nègre qui souffre n’est pas un ours qui danse», est-il écrit sur la pancarte que brandit Marlène. «C’est une phrase d’Aimé Césaire, elle résume bien notre souffrance, me dit cette infirmière. Les békés tiennent tous les moyens de production. On ne peut pas communiquer avec eux. Ils ont instauré un véritable apartheid. Mais tout privilège est amené à disparaître un jour ou l’autre. Souvenez-vous de la Révolution française !» Autour, ses compagnons acquiescent. «Les supermarchés, les vendeurs de voitures, les cimenteries, les banques, ce sont les békés !» affirme Emma, agricultrice métisse, mère de trois enfants et militante du Palima, le mouvement indépendantiste. «Sans nous, les masses laborieuses, ils n’auraient pas pu s’enrichir», éructe-t-elle en se référant au documentaire «Les derniers maîtres de la Martinique», diffusé dans l’émission «Spécial investigation» sur Canal+. Tous les habitants de l’île y ont écouté les propos d’Alain Huyghues Despointes, le patron du plus gros groupe agroalimentaire de Martinique. A 83 ans, le patriarche regrette devant la caméra que «les historiens ne s’intéressent pas au bon côté de l’esclavage» et qu’«une famille dont tous les membres ne sont pas de la même couleur manque d’harmonie». Depuis, les syndicalistes et les indépendantistes instrumentalisent ces déclarations insensées pour mobiliser les foules. La première victime collatérale de cette affaire est le préfet Ange Mancini, ancien grand flic. Privé de sa résidence, fortement endommagée par le cyclone Dean, il a loué l’habitation «Le Simon», qui appartient à Alain Huyghues Despointes, dans une des bourgades de l’île, Le François. C’est sur cette commune que les békés les plus fortunés et plusieurs riches hommes d’affaires métis ont élu domicile.

suite: http://www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/La-Martinique-voit-rouge-80511/

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