jeudi 22 octobre 2009

Un appel à la solidarité

Un appel à la solidarité envers les ouvriers agricoles haïtiens vivant en R.D

par Renos Dossous

Dans la quête de notre identité en tant que peuple, nous avons devant nous un immense terrain à défricher. En insistant sur le fait que notre environnement, à la fois géographique et politique, doivent y jouer un rôle, nous n’inventons absolument rien de bien original. Car si ce facteur devait être négligé, comment pourrait-on, même de loin, se faire une idée de cette entité humaine végétant dans sa moitié d’ile en plein cœur des Caraïbes et du XXIe siècle ?

Apres l’indépendance américaine de 1776, la guerre de sécession, un siècle plus tard, est venue mettre un terme aux doutes que suscitaient encore les divisions internes sur l’avenir. La nation s’unifia, se consolida. La puissance américaine, un nouveau géant, venait de naitre. Plusieurs actions inauguraient cette révélation au monde. La présentation du nouveau venu se faisait de manière ostentatoire. L’une des plus visibles démonstrations était la rapidité avec laquelle, une fois sa stabilité assurée, elle opérait l’éviction des ses rivaux européens attardés sur les rives latino-américaines et caribéennes. D’abord les Anglais, mais aussi les Français, les Allemand, les Hollandais, les Portugais et, du moins ce qui en restait encore, les Espagnols. On n’oubliera pas que les Espagnols formaient le dernier bastion des colonisateurs qui tardaient encore, à l’aube du XIXe siècle, à plier bagage pour retourner à leur point de départ. Cuba était, pour ainsi dire, l’épreuve finale du système colonial dans le Nouveau Monde.

Dans son application à prendre de l’espace, l’aigle américain avait une stratégie bien particulière qui consistait à étendre ses ailes, sans perte de temps, sur chaque pouce de terrain abandonné par ses prédécesseurs. Etait-ce un hasard si des pays latino-américains comme le Nicaragua, le Honduras, la Colombie ou même la dernière création en date, le Panama, ont connu leur propre moment d’épreuve ? La réponse est claire. Mais dans les Caraïbes aussi, Cuba et Porto Rico, d’une part, la République Dominicaine et Haïti, de l’autre, allaient jouer un rôle de plus en plus important dans ce jeu économique très complexe où n’allaient manquer ni des ingrédients politiques ni des ingrédients sociaux.

Mais puisque d’économie il s’agit avant toute autre chose, précisons bien vite que le domaine particulier qui allait changer la physionomie de plus d’un pays de la zone, c’était la culture de la canne à sucre, produit encore très prisé au début du XXe siècle.

Lorsque des investissements d’importance ont commencé à affluer des Etats-Unis vers Cuba pour la culture et l’industrialisation de cette denrée, presque simultanément cette nouvelle fièvre a atteint la République Dominicaine alors sous occupation américaine aussi bien qu’Haïti. Ce n’est pas que la canne à sucre n’ait pas fait partie de l’histoire même de ces deux nations. C’était tout simplement qu’une nouvelle source d’investissement, moderne, puissante, de nouvelles stratégies, faisaient sentir leurs poids après que des générations d’exploitants de ce produit avaient passé le temps à tâtonner dans l’anachronisme technologique et l’improvisation.

Ce triangle formé par Cuba, la République Dominicaine et Haïti devenait le lieu géométrique, la référence obligatoire où inscrire ce phénomène étrange, la migration haïtienne du début du XXe siècle.

En effet, dès le début de l’occupation américaine de 1915, plus de 50 000 familles paysannes furent déplacées, en Haïti, au profit de l’implantation de champs de cannes et d’usines destinées à les transformer. Mais le problème de l’excès de main d’œuvre vacante exigeait une solution urgente de la part des occupants. Pour éviter une explosion sociale, ils devaient procéder au plus vite. Et c’est ce qu’ils ont fait. C’est ainsi que 200 468 paysans haïtiens devaient émigrer à Cuba entre 1915 et 1929. Le nombre de ceux qui en avaient fait autant vers la République Dominicaine voisine était considérablement supérieur (1). Il continuerait à croître évidemment avec le temps.

Le territoire haïtien, moins étendu et plus montagneux que ceux de Cuba et de la République Dominicaine, les structures de l’état plus fragiles, l’environnement politique moins stable, il était normal que son rôle se réduise à une participation secondaire aux yeux des investisseurs. Voilà pourquoi, au lieu d’y faire venir des fonds abondants (ce qui y aurait, malgré tout, laissé des retombées économiques importantes) comme on le faisait ailleurs, on y a vu plutôt une source de main-d’œuvre bon marché. Le traitement de parent pauvre qui en dériverait était ainsi une conséquence logique de sa situation à la fois géographique, écologique, politique et sociale.

L’historien Franklin Franco qui s’est penché sur ce problème nous donne une idée de la façon dont les territoires étaient priorisés non pas en fonction de leurs besoins, mais en fonction de leur importance économique pour les investisseurs. Pour nous en convaincre, il nous rappelle qu’en 1929, en plein cœur de la récession économique mondiale, tandis que ces entreprises milliardaires ont investi, dans le commerce de la canne à sucre, 1000 millions de dollars à Cuba, 150 millions en République Dominicaine, seulement 8 millions furent réservés à Haïti (2). Il n’y avait donc aucune urgence à résoudre les difficultés d’un pays dont la vocation devait obligatoirement se limiter à résoudre des problèmes dont la portée dépassait ses propres frontières.

Si l’on veut se faire une meilleure idée de la place d’Haïti sur l’échiquier économique régional et mondial et des circonstances qui la déterminent, il suffirait de se rapprocher un petit peu plus dans le temps, vers les années 80. Face à la menace permanente d’une déstabilisation sociale et politique de l’Amérique latine et des Caraïbe sous la pression de la crise économique, un plan a été conçu pour venir en aide aux pays les plus défavorisés de la zone. On l’a baptisé l’« Initiative du bassin des Caraïbes ». Dans le cadre de cet effort, alors que des maux de toutes sortes frappaient Haïti, 2, 8 % des fonds prévus lui ont été destinés alors que 28, 6 % étaient réservés au Salvador (3), pays mesurant à peine les trois quarts du territoire haïtien et possédant la moitié de sa population. L’explication était que le terrorisme et la guérilla faisaient rage au Salvador et que le terrain était propice à l’entrée du communisme comme au Nicaragua post-somoziste.

Jusqu'à quand accepterons-nous passivement que nos priorités nous soient imposées de l’extérieur? Qu’est-ce qui nous paralyse ? Qu’est-ce qui empêche ce pays, le deuxième de ce continent à se libérer, de se secouer de son engourdissement pour s’affirmer en tant que nation digne de considération et de respect ?

Rien n’est mystérieux dans l’explication de cette lourdeur. Nos gouvernements y sont pour quelque chose. Un pays dont les ressortissants, où qu’ils se trouvent, se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes quelle que soit leur situation, quelle que soit la gravité des problèmes qu’ils confrontent, ne peut être pris au sérieux nulle part.

Les fonctionnaires de l’intérieur, du sommet à la base, ont la responsabilité d’une gestion efficace du pays, mais les diplomates, ses représentants à l’extérieur, sont aussi le reflet, l’image que les autres en reçoivent. Et présentement, elle semble bien pâle, cette image. L’inefficacité, l’incompétence ou la mauvaise foi sont d’autant plus visibles que les problèmes de nos ressortissants sont aigus. Et ils ne le sont nulle part ailleurs aussi déchirants qu’en République Dominicaine pour les ouvriers agricoles haïtiens.

Qu’avons-nous fait, que ferons-nous pour agir sur la réalité et changer l’image désastreuse que nous renvoyons de nous-mêmes à ceux qui nous observent ? Quand comprendrons-nous que ce n’est pas dans le camouflage, mais dans la prise en main de nos responsabilités citoyennes que se trouve la solution ? A chacun d’y répondre !

Notes1. « Haiti, de Dessalines a nuestros días », Franklin J. Franco, Editora Nacional, Santo Domingo, 1988 p.76 2. Idem. P.773. “Azucar y Haitianos en la Republica Dominicana”, Jose Manuel Madruga, Ediciones MSC, 1986, Editora Amigo del hogar 14 septiembre 2009

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